Quand M est rentré à l’école à quatre ans, il m’a tout de suite été signalé comme un « enfant mordeur ». L’école de ZEP qu’il fréquente alors est très sensible aux relations difficiles que certains parents ont avec les enseignantes ou les autres parents. Le comportement de M qui, dans une autre école, aurait été géré dans le sens de l’apaisement et de la banalisation, devient rapidement dans celle-ci facteur d’anxiété. Il est même dramatisé après qu’une mère vint se plaindre bruyamment que sa fille a été agressée.
Dés lors M est considéré comme un enfant à part et autorisé à faire les activités qui l’intéressent, sans contrainte, car l’école pense que celles-ci pourraient accroître son agressivité. Bien que scolarisé en moyenne section, il passe une bonne partie de sa journée dans un coin jeu de la classe des petits où il joue, seul la plupart du temps.
Bébé, M a failli mourir à la suite de convulsions thermiques. Celles-ci se sont répétées par quatre fois jusqu’à l’âge de trois ans. Il a été suivi dans divers services neurologiques, bien que les résultats des examens se soient peu à peu banalisés. Par contre, sa sœur de 4 ans son aînée, a été diagnostiquée comme épileptique ce qui n’a pas été sans réactiver l’angoisse familiale. Le père est totalement absent du discours maternel alors que la grand-mère maternelle est très présente et décrite par l’école comme un étayage indispensable aux carences éducatives de Madame.
Aux yeux du psychologue, qui l’observe dans la cour et dans sa classe, M est un enfant qui a peu de contacts avec les autres. Les enfants de l’école sont vécus comme potentiellement agresseurs. Il dit souvent « Il m’a tapé » dés qu’un enfant se rapproche de lui ou le frôle. Ceci ne favorise pas les contacts sociaux et M est qualifié de méchant par les autres enfants. En classe, il peut rester de longs moments dans le coin jeu ou à regarder des livres mais se lève et change de groupe et d’activités dés que la maîtresse propose un travail écrit ou des regroupements l’obligeant à rester assis en présence d’autres enfants. Le langage est infantile dans sa forme mais adapté dans son contenu . Découvrant la carte de Corse il peut dire : « C’est la France ou c’est comme la France ? ».
Un examen psychologique est demandé par sa mère.
M entre dans mon bureau et exige de faire un dessin. Il décide de faire un bonhomme mais son humeur l’amène à exécuter des gribouillages plus ludiques intégrant des éléments culturels ( chiffres, lettres) « C’est la fête » dit-il. Le bilan de la WIPPS est sub-normal, avec des échecs dans les épreuves de performance. Il révèle une hypersensibilité aux situations. Comme j'ai à un moment haussé les sourcils involontairement, M, sans quitter le matériel des yeux me dit « Pourquoi t’es pas content ? » La labilité de l’attention et la fatigabilité existent mais sont tout à fait gérables en situation duelle et n'empêcheront pas l’examen d’aller jusqu’à son terme.
Les acquis scolaires sont jugés insuffisants à la fin de la moyenne section et l’école demande un maintien avec l’accord de la mère. Je propose un passage en grande section avec retour partiel en moyenne section cette proposition étant rendue possible par la structure même de la classe GS-MS. Cette proposition est acceptée par la CCPE mais ne donnera pas lieu à un projet précis.
En début d’année scolaire, la grand-mère de M meurt brutalement. Des changements importants de personnel ont affecté l’école mais l’histoire de M le précède. La nouvelle maîtresse sollicite le RASED pour une prise en charge individuelle et hors de sa classe. Elle semble effrayée par la singularité de cet enfant. Cette demande me semblant aller dans le sens de la déresponsabilisation d’une situation qui dépasse, aux dires de la maîtresse, ses compétences ; je la recadre donc. La maîtresse E ira en classe lors des activités qui posent le plus de problèmes ( graphisme, fiches…). Si le problème de M c’est son intégration dans la classe, il semble bien que cette difficulté demande alors à être résolue dans ce contexte. Argument qui s’impose dans sa logique, mais ne satisfait pas la maîtresse.
Le temps passe M continue de mordre avec plus ou moins de fréquence et les nombreuses réunions de synthèse où nous évoquons cette situation m’amène à constater sa détérioration.
M ne suit ni la GS ni vraiment la MS, mais passe d’une activité à l’autre sans contrainte. Cette particularisation hors de l’inscription dans le rythme scolaire très ritualisé de la maternelle accroît la position marginale de M aux yeux des adultes et de ses pairs. La mère est souvent convoquée pour constater les conséquences du comportement agressif de son fils La situation se tend et la crise éclate quand M refuse d’aller à l’école. La mère toute entière dans son deuil, fatiguée, accède à cette demande et prend un congé pour le garder à la maison.
Je m’interroge beaucoup sur la poursuite de la scolarité de M dans son école. En effet, dés que le projet d’aide n’a plus été centré sur les difficultés de M mais sur son intégration dans sa classe, l’école est devenue de plus en plus hostile .
La maman m’appelle alors afin que je lui rende compte de l’attitude de son fils dans son groupe d’âge après une observation que j’ai réalisé dans la classe.
Entre temps, j’ai pris contact avec une enseignante d’une autre école maternelle proche de chez M. Celle-ci a déjà intégré des enfants dans des situations difficiles et accepterait d’essayer d’accueillir M à la condition d’être soutenue. Elle est très cadrante et le projet de scolariser M dans sa classe est tout à fait envisageable. Je peux dés lors travailler dans une perspective d’accueil de M à l’essai avec l’aide du RASED et propose d’aller régulièrement dans la classe donner du sens aux comportements de M qui peuvent être déroutants.
Dés le début de l’entretien avec la mère, elle m’avoue s’interroger avec son mari sur les limites de la scolarisation de M dans son école et sur un éventuel changement d’école. Il pleure souvent en disant qu’il n’a pas de copains. Il est devenu encoprésique intermittent. Elle me demande si ce serait possible. Nous faisons le tour des questions matérielles qui pourraient freiner celle-ci.
Elle ajoute qu’elle a pris rendez-vous dans un CHU afin de réaliser un bilan neurologique. Les vacances de printemps seront l’occasion de faire celui-ci et de préparer M à ce nouveau projet scolaire, si ses parents acceptent de le changer d’école. Je demande à sa future maîtresse si elle désire que nous discutions de l’attitude de M. Elle préfère s’en rendre compte sur le vif, dit-elle, et adapter son comportement à celui de M. Je connote positivement cette réponse.
A la rentrée M a été diagnostiqué. Il présenterait un trouble hyperactif avec déficit d’attention (THADA) et commence un traitement de Ritaline. La mère me dit que le centre de soins cherche une solution à la poursuite de la scolarité de M.
M est allé dans sa nouvelle école et il est très heureux d’y être. Je discute avec la mère de la nécessaire construction d’un projet global. Le médecin scolaire s’occupera de la relation avec le CHU. Je me définis comme partenaire de l’intégration de M dans sa classe et refuse pour l’instant de parler de contrat puisque à part les visites au CHU il n’y a pas d’interventions d’autres services dans le cadre scolaire. Je ne me prononce pas sur le diagnostic, mais pour moi M est un enfant et sera dans la mesure du possible traité comme les autres.
La maîtresse a été encouragée à faire de même et a refusé l’ancien comportement de M dés le premier jour avec beaucoup de conviction. M fera les mêmes activités que son groupe. M s’est plié à cette exigence bien qu’en la présence de sa mère il ait essayé de mettre son enseignante en difficulté.
Une fermeté bienveillante en classe, l’amène peu à peu à intégrer les rituels de sa nouvelle classe. Un mois après M est un petit élève qui, bien qu’il n’ait pas encore de jeux suivis avec les autres commence à entrer avec eux dans des contacts sociaux plus souples. Il demande parfois à se reposer au cours de la matinée .
Personne n’évoque plus pour l’heure un contrat d’intégration. A la mère qui m’avoue que le CHU lui a dit de faire le deuil d’une scolarité normale, je réponds qu’elle tend pourtant à se normaliser et que l’école est pour l’instant plus raisonnablement optimiste. Je continue quant à moi l’accompagnement de M dans sa classe en m’y rendant régulièrement et en favorisant doucement les échanges tout en soutenant sa maîtresse.
Le contexte de la scolarité de M dans sa première école était devenu trop anxiogène. Les morsures, le décès de la grand-mère que l’école connaissait bien, mais aussi le comportement singulier de M, la difficulté à poser des exigences fortes au nom de la prise en compte de sa différence tout conduisait à une situation de crise. C’est M qui l’a déclenchée par son comportement et en refusant d’aller à l’école.
Dans un tel contexte, l’évaluation de la situation me semble alors capitale pour savoir si une autre solution est possible. Il reste alors à construire une niche écologique qui intègre les difficultés de l’enfant. La vérité et la prudence sont des outils de cette construction. Dans le même temps, les premiers signes pointés par le psychologue, de l’adaptation de l’enfant à ce nouveau contexte permettent de renforcer positivement celui-ci. Le signe que la dialectique intégration-adaptation s’engage dans la voie de ce renforcement c’est tout simplement la satisfaction. Exprimée par M, heureux d’aller de nouveau à l’école, puis par sa famille et sa maîtresse qui non seulement trouve la situation « tout à fait gérable » mais exprime aussi une satisfaction personnelle à réussir un projet jugé difficile. Car il semble que le contexte de l’intégration doit non seulement prendre en compte le fait que les comportements de l’enfant ne déstabilise pas trop le milieu accueillant mais que cet accueil soit facteur de gratification pour celui-ci. L’expérience nous montre que souvent l’école exprime par la voix des enseignants sa satisfaction d’avoir surmonté une épreuve jugée inquiétante au départ et d’avoir appris beaucoup de celle-ci. Mais elle peut aussi vivre cette intégration comme une souffrance culpabilisante. Dans l’entre deux, il y a l’évaluation de la situation globale du système intégrant-intégré. Dans l’entre deux, il y a la construction de la niche écologique adaptée à la situation analysée. Ce projet d’intégration concerne de plein droit le travail du psychologue scolaire.