La situation d’Antoine est évoquée devant le psychologue pour la première fois à l’occasion du conseil de cycle auquel il assiste dans une école qui m’est nouvellement attribuée. Il est qualifié par la directrice comme « ne relevant probablement pas de [mes] compétences » car « dyslexique grave. »
Il est âgé de 8;6. C’est le second d’une fratrie de trois garçons ; l’aîné est au collège, le cadet en maternelle. Lui, bien que non-lecteur et présenté comme « ayant des difficultés avec la chronologie » et des « difficultés de structuration de la pensée » est inscrit au CE2 correspondant à son âge. La motivation avancée pour cette décision est le désir de ne pas le marginaliser, associé au fait qu’il soit « bon en maths. » Sur la lecture, la maîtresse dit qu’en classe, il mémorise des phrases entières pour les restituer, mais que, le lendemain, il est incapable de les décoder à nouveau.
Il a déjà fait l’objet d’une prise en charge en psychomotricité les années précédentes et une rééducation orthophonique est en cours depuis 3 ans. Deux pédopsychiatres ont successivement été consultés, mais les suivis proposés ont chaque fois été interrompus très vite du fait du ressenti négatif de la maman à leur égard. En désespoir de cause, l’enfant a été amené au CHU régional, à 200 km de là, pour un bilan dans le service de neuropsychiatrie. A cette occasion, un diagnostic de dyslexie/dysphasie a été posé et une indication d’intensification de la rééducation formulée. Le document précise qu’un examen psychométrique a « mis en évidence » un QIt de 80 (qualifié de « zone limite de la déficience » !) ; des hypothèses d’orientation ultérieure en SEGPA sont d’ores et déjà envisagées. Des problèmes neurologiques au lobe gauche du cerveau auraient été évoqués verbalement.
Les parents sont présentés comme conscients, désespérés et très concernés. La maman serait plus jeune que le père.
A l’entretien avec la famille, Antoine est présent et se positionne entre ses parents, contre sa mère, une main posée sur la cuisse de celle-ci sans qu’elle réagisse. C’est Madame qui expose, justifie ; Monsieur demande conseil, consignes.
Antoine est présenté comme un enfant « ayant toujours été en retard « (pour parler, marcher, se latéraliser –il est gaucher-, rouler à vélo). D’ailleurs, il est né après terme, de façon provoquée ; «il ne voulait pas sortir du ventre de sa mère » .
En réunion d’équipe éducative, qui visait initialement à mettre en œuvre la prescription du service de neurologie en instaurant des séances d’orthophonie dans les locaux et les heures scolaires, il est décidé que serait préférée une séance hebdomadaire avec le Psychologue Scolaire.
La première phase du travail avec l’enfant consistera, de manière explicite, à l’aider à structurer en compréhension sa réalité et à l’amener à s’exprimer sur la place qu’il s’y attribue : à l’école, dans sa famille, dans l’histoire de celle-ci. Dès que, et c’est rapide, une certaine « aisance » apparaît dans ce domaine, il devient possible de se projeter dans l’avenir et d’évoquer son « échec » ( une menace de placement en établissement spécialisé pour dyslexiques a été agitée) et donc d’élaborer des hypothèses sur les raisons de celui-ci. Hésitations et non-dits m’amènent à lui poser la question provocatrice : « Penses-tu que tu serais trop bête pour apprendre à lire ? », question qui reste sans réponse…
Cette phase du travail s’achève sur un tournant ou nous convenons des choses suivantes, clairement énoncées dans ce langage accessible :
1) C’est une partie de mes compétences de mesurer si les enfants sont intelligents ; il souhaite que je le fasse chez lui, pour lui communiquer les résultats ;
2)le psychologue souhaite continuer de travailler avec lui ; lui aussi ; Antoine va lui rencontrer chaque mardi de 9h30 à 10h30 ; il s’agira de l’aider (sans autre précision).
(NB : les difficultés de repérage et de chronologie semblent dépassées; il utilise de temps à autre son agenda sur lequel il a le droit d’écrire.)
La première des séances de la poursuite sera l’occasion de proposer le PM 47. Dans ce test, son score le situera au 90ème centile des enfants de son âge. Je lui restitue cette performance sous une forme adaptée en la ramenant à l’échelle de sa classe, ce qui occasionne chez lui une réaction de soulagement difficilement dissimulée.
Le psychologue et Antoine enchaîneront ensuite sur un travail hebdomadaire dont l’essentiel consiste en l’élaboration par l’enfant, avec mon aide technique et dans le cadre d’une relation étayante et déculpabilisante, de scénarii présentés sous forme de petits albums : il dessine les épisodes, le psy les écrit sous dictée avec une reformulation minimale.
Au fil des séances, une évolution se fait sur deux axes :
Ses scénarii sont d’abord de plus en plus élaborés et aisément interprétables dans le corpus de la thématique œdipienne, puis, cela devient répétitif et les productions ont tendance à se banaliser.
Sa participation, d’abord limitée au dessin, se laisse progressivement emmener vers l’écriture où il révèle des acquisitions latentes qui peuvent être organisées et venir à disponibilité.
La fin de cette phase coïncide avec celle du second trimestre et s’élabore en une crise : Antoine refuse subitement ce type d’activité ; il refuse d’écrire et de lire alors qu’il décode désormais à peu près tout. Il désire revenir à des jeux de compétition que nous avions accessoirement pratiqués auparavant.
La crise se résout difficilement par un retour sur le cadre contractuel initial et une actualisation de celui-ci :
1) Le psychologue et l'enfant rencontront, c’est pour de l’aide ; l’aide, à l’heure actuelle, consiste à l’entraîner à lire ; l’activité principale doit donc porter là-dessus et consistera désormais à travailler la vitesse de lecture.
2) Il a le droit d’interrompre les séances car le type d’activité change complètement; je puis tout à fait comprendre que cela lui déplaise et ne lui garderai aucune rigueur d’un arrêt. J’insiste sur le fait que, pour ce qui me concerne, je souhaite continuer.
Une longue négociation - dont l’objectif était pour lui de pérenniser la relation sans l’associer au travail sur la lecture - et une semaine de réflexion précéderont la décision de poursuivre nos rencontres.
Nous terminerons l’année scolaire avec des « défis » chronométrés en lecture rapide chaque fois un peu plus difficiles à relever.
A l’occasion de la séance lors de laquelle nous décidons d’un commun accord d’ « arrêter » parce qu’il « sait lire », il exprime le désir de « refaire le jeu du début, le tout premier ». J’accède bien sûr à cette demande ; il parcourra le cahier du PM47 à un rythme étonnant et en ne commettant aucune erreur ! et bien sûr en recevra le score avec jubilation…
L’enseignante a été régulièrement associée à l’évolution du suivi et s’est impliquée par des exigences en classe adaptées et réajustées au fil des semaines ; elle est d’ailleurs, au même titre que d’autres, symboliquement présente dans un des personnages des scénarii imaginés par Antoine.
A la fin de l’année scolaire, Antoine avait acquis un niveau de lecture CE1. En dépit de mon avis contraire, fondé sur l’insuffisance de son niveau en orthographe, il a été admis au CM1, comme si des déterminants obscurs empêchaient une fois encore que la loi commune s’appliquât à lui.
Il a déjà fait l’objet d’une prise en charge en psychomotricité les années précédentes et une rééducation orthophonique est en cours depuis 3 ans. Deux pédopsychiatres ont successivement été consultés, mais les suivis proposés ont chaque fois été interrompus très vite du fait du ressenti négatif de la maman à leur égard. En désespoir de cause, l’enfant a été amené au CHU régional, à 200 km de là, pour un bilan dans le service de neuropsychiatrie. A cette occasion, un diagnostic de dyslexie/dysphasie a été posé et une indication d’intensification de la rééducation formulée. Le document précise qu’un examen psychométrique a « mis en évidence » un QIt de 80 (qualifié de « zone limite de la déficience » !) ; des hypothèses d’orientation ultérieure en SEGPA sont d’ores et déjà envisagées. Des problèmes neurologiques au lobe gauche du cerveau auraient été évoqués verbalement.
Les parents sont présentés comme conscients, désespérés et très concernés. La maman serait plus jeune que le père.
A l’entretien avec la famille, Antoine est présent et se positionne entre ses parents, contre sa mère, une main posée sur la cuisse de celle-ci sans qu’elle réagisse. C’est Madame qui expose, justifie ; Monsieur demande conseil, consignes.
Antoine est présenté comme un enfant « ayant toujours été en retard « (pour parler, marcher, se latéraliser –il est gaucher-, rouler à vélo). D’ailleurs, il est né après terme, de façon provoquée ; «il ne voulait pas sortir du ventre de sa mère » .
En réunion d’équipe éducative, qui visait initialement à mettre en œuvre la prescription du service de neurologie en instaurant des séances d’orthophonie dans les locaux et les heures scolaires, il est décidé que serait préférée une séance hebdomadaire avec le Psychologue Scolaire.
La première phase du travail avec l’enfant consistera, de manière explicite, à l’aider à structurer en compréhension sa réalité et à l’amener à s’exprimer sur la place qu’il s’y attribue : à l’école, dans sa famille, dans l’histoire de celle-ci. Dès que, et c’est rapide, une certaine « aisance » apparaît dans ce domaine, il devient possible de se projeter dans l’avenir et d’évoquer son « échec » ( une menace de placement en établissement spécialisé pour dyslexiques a été agitée) et donc d’élaborer des hypothèses sur les raisons de celui-ci. Hésitations et non-dits m’amènent à lui poser la question provocatrice : « Penses-tu que tu serais trop bête pour apprendre à lire ? », question qui reste sans réponse…
Cette phase du travail s’achève sur un tournant ou nous convenons des choses suivantes, clairement énoncées dans ce langage accessible :
1) C’est une partie de mes compétences de mesurer si les enfants sont intelligents ; il souhaite que je le fasse chez lui, pour lui communiquer les résultats ;
2) Le psychologue souhaite continuer de travailler avec lui ; lui aussi ; Ils vont se rencontrer chaque mardi de 9h30 à 10h30 ; il s’agira de l’aider (sans autre précision).
(NB : les difficultés de repérage et de chronologie semblent dépassées; il utilise de temps à autre mon agenda sur lequel il a le droit d’écrire.)
La première des séances de la poursuite sera l’occasion de proposer le PM 47. Dans ce test, son score le situera au 90ème centile des enfants de son âge. Je lui restitue cette performance sous une forme adaptée en la ramenant à l’échelle de sa classe, ce qui occasionne chez lui une réaction de soulagement difficilement dissimulée.
Nous enchaînerons ensuite sur un travail hebdomadaire dont l’essentiel consiste en l’élaboration par l’enfant, avec mon aide technique et dans le cadre d’une relation étayante et déculpabilisante, de scénarii présentés sous forme de petits albums : il dessine les épisodes, le psy les écrit sous dictée avec une reformulation minimale.
Au fil des séances, une évolution se fait sur deux axes :
Ses scénarii sont d’abord de plus en plus élaborés et aisément interprétables dans le corpus de la thématique oedipienne, puis, cela devient répétitif et les productions ont tendance à se banaliser.
Sa participation, d’abord limitée au dessin, se laisse progressivement emmener vers l’écriture où il révèle des acquisitions latentes qui peuvent être organisées et venir à disponibilité.
La fin de cette phase coîncide avec celle du second trimestre et s’élabore en une crise : Antoine refuse subitement ce type d’activité ; il refuse d’écrire et de lire alors qu’il décode désormais à peu près tout. Il désire revenir à des jeux de compétition que nous avions accessoirement pratiqués auparavant.
La crise se résoud difficilement par un retour sur le cadre contractuel initial et une actualisation de celui-ci :
1) Ils se rencontrons, c’est pour de l’aide ; l’aide, à l’heure actuelle, consiste à l’entraîner à lire ; l’activité principale doit donc porter là-dessus et consistera désormais à travailler la vitesse de lecture.
2) Il a le droit d’interrompre les séances car le type d’activité change complètement; je puis tout à fait comprendre que cela lui déplaise et ne lui garderai aucune rigueur d’un arrêt. J’insiste sur le fait que, pour ce qui me concerne, je souhaite continuer.
Une longue négociation - dont l’objectif était pour lui de pérenniser la relation sans l’associer au travail sur la lecture - et une semaine de réflexion précéderont la décision de poursuivre nos rencontres.
Nous terminerons l’année scolaire avec des « défis » chronométrés en lecture rapide chaque fois un peu plus difficiles à relever.
A l’occasion de la séance lors de laquelle nous décidons d’un commun accord d’ « arrêter » parce qu’il « sait lire », il exprime le désir de « refaire le jeu du début, le tout premier ». J’accède bien sûr à cette demande ; il parcourra le cahier du PM47 à un rythme étonnant et en ne commettant aucune erreur ! et bien sûr en recevra le score avec jubilation…L’enseignante a été régulièrement associée à l’évolution du suivi et s’est impliquée par des exigences en classe adaptées et réajustées au fil des semaines ; elle est d’ailleurs, au même titre que d’autres, symboliquement présente dans un des personnages des scénarii imaginés par Antoine.
A la fin de l’année scolaire, Antoine avait acquis un niveau de lecture CE1. En dépit de mon avis contraire, fondé sur l’insuffisance de son niveau en orthographe, il a été admis au CM1, comme si des déterminants obscurs empêchaient une fois encore que la loi commune s’appliquât à lui.