Un début de scolarisation difficile
Julie est arrivée à l’école à l’aube de ses trois ans. Son comportement « bizarre » avait incité la maîtresse, en accord avec les parents, à organiser un accueil très progressif : d’abord une heure, en augmentant petit à petit, pour atteindre la demi-journée.
Julie criait, se déshabillait, se jetait sur les fauteuils au risque de se mettre réellement en danger. Elle avait aussi des moments de repli où elle se blottissait dans certains endroits de la classe. Elle ne communiquait pas, n’acceptait aucune contrainte et semblait ne pas réagir aux sollicitations.
Julie a commencé un suivi thérapeutique à cette période-là dans un centre- médico- psychologique. Le diagnostic posé était « dysharmonie évolutive avec utilisation de moyens de défense archaïques de type autistique ».
Un petit événement avait déclenché une angoisse chez celle-ci : les parents souhaitaient que leur fille reste à la cantine et fasse la sieste à l’école.
Le RASED n’était pas intervenu en première année faute de personnel. Une restructuration des circonscriptions avait permis qu’enfin un Réseau d’Aide puisse être plus présent dans cette école.
La première observation a mis en évidence l’impossibilité pour cette petite fille de se « poser » et de répondre à une quelconque tâche scolaire. Elle déambulait dans la classe en marchant sur la pointe des pieds. Elle passait d’un lieu à un autre sans répit. Au coin-cuisine elle empilait verres, assiettes puis les jetaient. Elle poussait des cris stridents. A l’atelier collage elle ne pouvait pas tenir compte de la consigne. Elle superposait colle et images comme des blocs. Elle ne regardait jamais son enseignante, qui souffrait beaucoup de cela, ni ses camarades au hasard des rencontres. La seule personne qu’elle semblait reconnaître était l’ATSEM. Julie se blottissait parfois dans ses bras.
Une étonnante rencontre
On a proposé à l’enseignante et aux parents de rencontrer Julie dans le cadre scolaire. On ne voyais pas comment elle pourrait s’intégrer aux activités de classe sans nouer des relations, accepter la présence des autres et prendre en compte les règles de vie.
A un grand étonnement Julie suivie le psychologue, a accepté de s’asseoir sur le petit tapis qu'on avais installé dans un coin de la salle de jeux. Elle s’est mise à « jouer » avec les animaux en plastique et les objets miniatures de la maison contenus dans un petit sac. Elle était très calme. Ses jeux consistaient à entremêler les pattes d’un cheval et d’un cerf, à remplir un parc de bébé miniature de petits cochons roses. Elle imitait après moi les cris de certains animaux mais ne parlait pas et ne répétait pas. En guise de langage elle émettait une sorte de gazouillis. L’activité a duré un vingtaine de minutes ! Aux premiers bâillements j’ai interrompu la séance et ramené Julie dans sa classe.
Les élèves étaient répartis en ateliers : coloriage, graphisme et pâte à modeler. Ce jour-là Julie a manifesté le désir de voir faire : alors qu'on roulait des serpents pour les enfants du groupe, elle a dit « c’est à moi ! » de façon articulée et bien audible. A la fin de la matinée je lui ai dit au revoir et elle est venue l’embrasser.
La démarche d’intégration
Julie était donc capable de rester calme et d’utiliser des objets qu’elle organisait à sa façon. Elle aimait les câlins et la protection des bras.
Avec l’équipe enseignante nous avons réfléchi à un travail personnalisé en fonction des préférences de Julie. L’objectif était de l’amener à un temps d’activité de plus en plus long, de favoriser la communication non- verbale et verbale et d’installer petit à petit les premiers repères spatio-temporels.
Afin que Julie se situe mieux dans la classe, il a fallu « marquer » sa place : sa petite table a été installée devant un miroir. La maîtresse avait repéré que celui-ci avait un effet apaisant sur elle. Pour les activités de grand groupe, il fallait qu’elle soit « contenue », qu’elle ait sa place à l’intérieur, bien au milieu des enfants. Un petit fauteuil bien identifiable a permis de localiser cette place.
Les activités proposées tenaient compte des savoir-faire de l’enfant : mettre dedans/dehors. Beaucoup de jeux ont été fabriqués sur ce principe. Les jeux de crèche comme la « pagode » ont permis de constater que Julie était capable d’identifier les formes ( en plan et en trois dimensions) et les couleurs.
En graphisme elle acceptait de remplir avec des signes graphiques le contour de sa main ou de son chien-doudou, préalablement dessinés sur une feuille.
Parallèlement au travail de classe et au travail thérapeutique en pataugeoire au CMP, j’ai proposé une activité en petit groupe, à dominante corporelle. Le but était d’offrir à Julie un espace intermédiaire entre le grand groupe et l’individuel afin de favoriser les contacts.
Le petit groupe était hétérogène : il était composé de Julie et de deux garçons, l’un étant un « camarade », l’autre ayant des difficultés au niveau de la maîtrise corporelle. Julie n’avait pas vraiment de camarades mais plutôt des personnes privilégiées dont elle acceptait la présence.
Dans un premier temps nous avons joué à quatre aux petits jeux du sac qu’elle connaissait bien. Elle a eu du mal a accepter les « intrus ». son activité était perturbée par le bruit ( les garçons échangeaient beaucoup) et par les déplacements. Elle vivait leur présence comme un envahissement, cela la poussait à s’isoler. mais peu à peu quelques mots sont apparus : « parce que » « porte » « poule ».
Dans un deuxième temps nous avons utilisé la salle de repos, très agréable car moquettée. Le matériel connu était toujours présent mais complété par une ferme et un drap. Julie commençait à abandonner les activités de remplissage et de vidage. Elle pouvait organiser des scènes avec les animaux.
Le drap a permis toutes sortes d’expériences : on faisait sauter les animaux dedans, chacun son tour ils se mettaient dans le drap et on secouait. On jouait à se tirer, à se cacher, à s’enrouler, à tirer pour gagner le drap etc…Avec les matelas on faisait semblant de dormir, le drap servait de couverture. Julie n’aimait pas disparaître totalement dessous. D’autres mots sont alors apparus : « encore » pour dire qu’elle voulait continuer le jeu, « laisse-ça » quand un copain voulait lui prendre son bien. La rencontre régulière avec ce matériel a favorisé l’acceptation du contact physique très rapproché, l’émergence du jeu de « coucou-caché » qu’elle a utilisé ensuite dans la cour de récréation avec d’autres camarades. Elle s’est mise à rire aux éclats dans les jeux de rivalité, a vouloir faire le fantôme cachée sous le drap pour faire peur aux copains…
Dans un troisième temps nous avons travaillé autour des jeux à consigne. Grâce aux parcours gymniques, l’activité est devenue plus cadrée. Il a fallu utiliser le « non » à certains moments. Julie, qui avait eu beaucoup de difficultés à entendre les interdits, commençait à percevoir les limites dites par l’Autre. Elle devenait sensible à l’intonation de la voix alors qu’au départ elle n’y réagissait pas.
Ce travail a duré six mois, à raison d’une heure par semaine.
Conclusion
Le bilan de fin d’année a mis en évidence les progrès de Julie sur un plan global. En classe elle était capable de rester assise sur son petit fauteuil le temps de la lecture d’un album. Elle montrait les images et répétait des mots. Elle pouvait s’inclure dans un jeu de ballon avec les autres. Elle acceptait de mieux en mieux les interdits et montrait que ça l’affectait. Elle ne se mettait plus du tout en danger. Dans la cour elle recherchait le contact avec les autres enfants. L’accueil à la cantine et à la sieste a pu être possible en cours d’année.
Les échanges au sein de l’équipe éducative ont été fructueux. Nous avons tous travaillé dans la même direction. Grâce aux échanges entre professionnels nous avons pu mieux comprendre la façon dont Julie appréhendait le monde. Il a fallu ensuite se laisser aller à la créativité : comment ce qu’on ressentait de Julie pouvait être exploité à des fins d’intégration. Nous avons eu la chance que cette petite fille ait bien voulu nous montrer le chemin à suivre.